Comment être crédible en science-fiction, fantasy, fantastique
1. Sense of Bullshit : ce moment où l’histoire ne tient pas debout
> 2. Des super-héros à la hard science : pourquoi tu crois aux pires supercheries
Si tu écris une histoire de l’imaginaire, tes lecteurs seront intraitables avec la moindre incohérence qu’ils y trouveront. S’ils y découvrent des trous et des raccourcis, ou si ton approche scientifique comporte des failles, ta relation avec eux sera terminée pour toujours.
Le problème, c’est que comme il existe des choses invraisemblables que les lecteurs gobent tout cru et d’autres pour lesquelles ils sont capables d’arracher les pages en hurlant, comment faire pour ne pas se tromper ?
C’est d’abord une question de genre
Superman est capable de voler, y compris dans l’espace. Dans Star Wars, les jedi pourraient utiliser la force pour faire la même chose. Pourtant, si tu les voyais faire, tu n’y croirais pas une seconde.
Pourquoi ? Pourqwa-waa-aa ?
Ce n’est pas une question d’univers ou de livre. En théorie, les jedis pourraient voler. Ils sautent très haut, font léviter des engins de plusieurs tonnes, peuvent passer plusieurs heures sans respirer.
Pourquoi donc ce bon vieux Yoda ne pourrait pas soulever sa vieille carcasse – d’autant qu’il ne fait que quarante kilos tout mouillé ?
La raison est assez arbitraire : ça ne correspond pas aux codes du genre. Des codes que les lecteurs et spectateurs ont intégré depuis longtemps, ce qui fait que lorsqu’ils commencent une histoire, ils s’attendent à ce que ces codes soient respectés quoi qu’il arrive.
Examinons en détail trois sous-genres de l’imaginaire où la notion de crédibilité varie suivant des critères extrêmement différents :
- les histoires de super-héros
- la science-fiction classique
- la hard science
À cette liste, on pourrait ajouter la fantasy, mais le traitement serait assez expéditif.
Car quel que soit le cas, le ressort est le même : on se base sur un concept impossible que les lecteurs croient malgré tout.
Super-héros : pas super scientifiques
Dans les histoires de super-héros, c’est simple : les personnages peuvent faire absolument tout. Il n’existe aucune limite à leurs pouvoirs.
En dépit de leur enveloppe humaine et de leur taille minuscule – si on les compare aux éléments qu’ils manipulent – ils sont capables de voler, de résister à des torrents d’énergie pure, d’atteindre des vitesses supersoniques, de voyager dans des univers parallèles et de remonter le temps. Entre autres.
On n’a rien inventé depuis les douze travaux d’Hercule. Les super-héros nous fascinent parce qu’ils nous permettent de dépasser les limites de notre existence humaine, avec la certitude de pouvoir tout surmonter.
Leur caractère mythique représente un modèle, un idéal, une projection de ce que nous aimerions être.
Et plus le monde réel nous paraît chaotique et incompréhensible, plus la capacité des super-héros à maîtriser le monde imaginaire qui les entoure et à résoudre les injustices nous fait croire en eux.
Ce qui fait que, quel que soit le pouvoir d’un super-héros, celui-ci sera crédible aux yeux des fans.
Cela signifie-t-il qu’une histoire de super-héros sera crédible quoi qu’il advienne ? Évidemment que non.
Paradoxalement, il existe une chose, une seule, qui peut rendre un super-héros totalement absurde – aussi sûrement qu’un cocktail vodka-kryptonite rendra Superman bourré : c’est de tenter d’expliquer en termes scientifiques comment fonctionne son pouvoir1.
Ça peut sembler bizarre, mais c’est pourtant ce qui se passe. Lorsque l’on projette un super-héros dans le monde réel, celui-ci perd rapidement de sa superbe et son histoire n’a plus aucune crédibilité.
Tout simplement parce que, d’un point de vue scientifique, les super-héros sont totalement absurdes et qu’il est donc impossible de proposer une explication plausible à leurs pouvoirs surhumains.
Ainsi, quand Peter Parker se fait mordre par une araignée radioactive, ça laisse penser que c’est dangereux et mutagène. Le héros se trouve dans une situation étrange que ni le lecteur, ni la science ne peuvent expliquer en s’appuyant sur des arguments scientifiques rationnels.
L’astuce, c’est de mettre la science au défi de prouver que ce n’est pas possible.
Comme la science est dans l’incapacité de prouver que le venin d’une morsure d’araignée rouge et bleue radioactive n’a pas d’effets mutagènes sur les adolescents de sexe masculin vivant à New-York, cela permet d’éviter toute controverse dans l’esprit du lecteur. Donc ça passe.
Toutefois, si on confrontait Spider-Man avec le monde réel, ça donnerait plutôt ça :
RAPPORT D’ANALYSES MÉDICALES
- L’effet mutagène du venin met moins de vingt-quatre heures à faire effet, puis se stabilise sans raison explicable.
- La mutation cellulaire accélérée triple la vitesse du métabolisme, mais malgré cela, le sujet peut évacuer l’excédent de chaleur sans suer comme un porc ni perdre 30 % de son poids en eau en dix minutes.
- Mieux, il peut toujours manger normalement en dépit de ses énormes besoins caloriques.
- Le sujet peut également produire à l’infini des filaments ultrarésistants par les poignets, même si en moins d’une journée la masse des fils qu’il a produits dépasse la masse de son propre corps.
- Enfin, il peut jouer les acrobates à deux cents mètres de hauteur – alors que le filin lui sort des poignets – sans se faire arracher les bras à chaque rebond.
Science-fiction : des limites ? quelles limites ?
Dans tous les space opera, les vaisseaux spatiaux vont plus vite que la lumière. C’est physiquement impossible, et pourtant ils le font tous. Et tu y crois à chaque fois.
Ben oui : pour les trois du fond qui l’auraient oublié, il est impossible de se déplacer plus vite que la lumière. C’est une limite physique impossible à contourner.
Dans le monde réel, plusieurs siècles, voire davantage, nous seront nécessaires pour voyager d’une étoile à l’autre. Enfin, lorsqu’on aura construit les vaisseaux qui vont bien.
Le principe de la science-fiction, c’est de transgresser les limites que la science nous impose, en considérant que ces limites sont en fait temporaires.
Après tout, la science avance à grands pas tous les jours. La technologie a progressé davantage durant le dernier siècle que durant tout le millénaire qui lui a précédé.
Alors pourquoi, dans le futur, ne parviendrions-nous pas à nous affranchir de toutes ces limites ?
La science-fiction repose sur l’hypothèse d’un espoir. C’est pour cela que nous y croyons. C’est pour cela qu’elle parvient à s’affranchir des principes et des interdits imposés par les lois de la science.
Nous pensions jadis que la Terre était plate, puis nous avons découvert qu’elle était sphérique et un-peu-aplatie-aux-pôles. Nous pensions que l’univers tournait autour de nous, puis nous avons découvert que c’est nous qui tournions autour du soleil, qui lui-même tournait dans une galaxie, qui elle-même tournait, etc.
Dans ce cas, pourquoi ne pourrions-nous pas découvrir un jour qu’il est en fait possible de voyager plus vite que la lumière ?
C’est cet espoir de lendemains qui chantent (et qui scintillent) qui nous fait frémir. Un espoir fait de découvertes révolutionnaires qui repousseront toutes les limites que nous connaissons.
C’est de cet espoir que nous nous nourrissons lorsque l’on lit – et que l’on écrit – de l’imaginaire.
D’autant plus que, pour un écrivain, faire abstraction des limites de la science ouvre des possibilités infinies pour composer des intrigues.
Car si tes histoires préférées respectaient à la lettre les limites que nous connaissons, tu penses bien qu’elles seraient assez chiantes à lire.
Sans hyperpropulsion, pas de conflits ni de guerres à l’échelle interstellaire. Pas de capitaines de cargos spatiaux ni de pirates de l’espace. Et encore moins de républiques ou d’empires galactiques.
Ce qui est sûr, c’est qu’une fois que l’on a décidé que les limites de la science actuelle pouvaient être franchies, tout devient possible. Cependant, on ne peut pas décider arbitrairement que les limites ont été dépassées.
Les lecteurs ont besoin d’un faire-valoir scientifique pour qu’on leur explique comment les scientifiques du futur sont parvenus à dépasser ces limites que l’on pensait infranchissables.
C’est là qu’interviennent les technologies imaginaires. Si l’on y réfléchit bien, elles sont purement et simplement des prétextes qui permettent à l’auteur de donner un semblant de crédibilité à son choix de s’affranchir des limites.
En d’autres termes, ces technologies ne sont plus ni moins qu’un équivalent de la magie dans la fantasy.
Tu souhaites que tes personnages vivent très longtemps, soient immortels ou puissent se promener dans le passé ? Utilise une technologie « futuriste » qui supprime le vieillissement cellulaire et crée des portes dimensionnelles. Miracle : tes héros sont âgés de plusieurs siècles et peuvent voyager dans le temps.
Tu souhaites que tes personnages puissent se rendre en quelques heures sur une planète lointaine ? Utilise une technologie « futuriste » qui supprime les barrières liées à la distance et au rapport masse-énergie. Miracle : les déplacements deviennent plus rapides que la lumière ou peuvent se faire de façon instantanée vers n’importe quel point de l’univers.
Le truc, c’est de rester évasif, ou de se baser sur des technologies que les lecteurs connaissent déjà.
Au fond, la science-fiction dite soft donne rarement d’explications précises sur la façon dont ces technologies fonctionnent : ce serait un peu comme expliquer pourquoi la magie existe. Parfois, on a une vague explication teintée de détails techniques, mais en réalité, rentrer dans les détails n’est pas toujours dans l’intérêt de l’écrivain.
Parce que le paradoxe, c’est que les technologies imaginaires qui sont inventées pour justifier le dépassement des limites de la science ont elles-mêmes leurs propres limites qui ne peuvent être dépassées.
Et si ces limites – tout aussi imaginaires – sont soudain dépassées, le lecteur n’y croira plus. Et ce même si elles sont dépassées quarante tomes plus tard.
Exactement de la même manière qu’une histoire de super-héros n’est plus crédible lorsque l’on explique comment fonctionne son pouvoir.
D’où l’intérêt de bien réfléchir à la technologie que l’on décrit afin de conserver un maximum de latitude pour le reste de son intrigue. En particulier la première fois que cette technologie sera présentée au lecteur.
Exemple : dans La Stratégie Ender, l’humanité utilise l’ansible, une technologie qui permet de communiquer en direct avec n’importe quel autre point de l’univers.
C’est un stupide affront à la physique qui passe comme une lettre à la poste, parce que son auteur, Orson Scott Card, a su présenter cette technologie avec l’enrobage qui va bien. On y croit donc dur comme fer.
Mais surtout, Orson Scott Card s’est laissé de la latitude. La communication est instantanée – elle n’est pas contrainte par une limite stupide comme par exemple, “vingt fois la vitesse de la lumière”. Cela aura son importance pour toute la série de livres basée sur l’histoire d’Ender Wiggin, puisque la communication instantanée se confrontera au voyage interstellaire qui, lui, n’est pas instantané. Un décalage qui aura une influence non négligeable sur la façon d’aborder l’intrigue et les rebondissements qui vont avec.
La crédibilité d’une histoire de science-fiction soft n’est donc pas liée au fait qu’une technologie soit plausible ou pas : elle est liée à la façon dont l’intrigue utilise cette technologie.
Et bien entendu, si l’intrigue de science-fiction ne se base sur aucune technologie du tout, elle n’a aucune chance d’être crédible non plus.
Car sans point de référence, le lecteur / spectateur ne comprend pas comment l’histoire réussit à s’abstraire des limites connues.
C’est ce phénomène qui rend Le Cinquième élément si absurde à bien des égards. S’ils avaient pris quelques secondes pour montrer ou même désigner un “communicateur à distorsion” ou un “bouclier planétaire”, on ne se serait pas posé toutes ces questions.
Lire à ce sujet sur SFFF Zone
Sense of Bullshit : ce moment où l’histoire ne tient pas debout
C’est absurde, oui, mais c’est comme ça. Les fans de littératures imaginaires ont besoin de savoir : ils détestent rester dans l’expectative.
Même si l’explication qu’on leur donne est totalement absurde.
Hard Science : vous voulez la jouer hard, on va la jouer hard
Ce qui est sympa quand tu écris de l’imaginaire, c’est que tu peux faire croire tout ce que tu veux à tes lecteurs.
Oui, tout. Quoi que tu fasses, tes lecteurs te croiront.
Pour autant que tu leur balance une explication avec un vernis plausible, évidemment.
Maintenant, il existe certains lecteurs pour qui le simple prétexte ne suffit pas. Il leur en faut plus.
Ce qui m’amène au troisième sous-genre dont je voulais parler, de loin le plus rigoureux et le plus exigeant : la hard science, ou science-fiction réaliste.
À la différence de la science-fiction soft, la hard science va chercher à expliquer de manière scientifiquement plausible des technologies futuristes ou imaginaires. Aussi précisément que si on les avait publiées dans les revues Science ou Nature.
Dans Retour vers le Futur, Doc Brown se contente de parler de « convecteur temporel » sans s’attarder à donner des détails sur la physique du temps. Parce qu’il s’agit d’une comédie familiale dont l’intérêt repose sur les situations provoquées par l’usage de la technologie, et non sur la technologie elle-même.
Ainsi, dans le film, Doc Brown élude les risques de paradoxe liés au voyage temporel en affirmant d’abord solennellement qu’ils pourraient provoquer « la destruction totale de l’univers ». Avant de conclure dans le dernier épisode qu’en fait, « on s’en balance ».
Un écrivain de hard science n’a pas le droit de s’adonner à ce genre de pirouette pour résoudre les problèmes qu’il aura posés dans son histoire. Tout simplement parce que ses lecteurs ne le lui pardonneraient pas.
Au contraire, il s’efforcera – avec gourmandise – de mâtiner son propos de générateurs de trous de ver, de champs quantiques et de problèmes de dilatation temporelle, tout en s’attardant avec délices dans des raisonnements logiques complexes pour tenter d’expliquer les inévitables paradoxes.
Et plus ses explications seront logiques, défendables et détaillées, plus elles seront crédibles pour les lecteurs de hard science.
Pourquoi ? Parce que ces derniers attendent que les écrivains apportent des réponses et des solutions scientifiquement plausibles aux problèmes qu’ils ont posé au départ.
Car la hard science ne se contente pas d’utiliser la science : elle la questionne.
L’objectif est de parvenir à traiter les thèmes de la science-fiction suivant une rigueur toute scientifique, à base d’extrapolations plausibles, compte tenu de ce que l’on sait de la science.
Car en s’attachant à être le plus réaliste possible, la hard science ne cherche pas à obtenir une vision imagée, rêvée, de ce que pourrait être le futur, comme le fait la science-fiction soft.
Ce qui implique que en hard science, les limites que nous connaissons ne soient pas franchissables.
Les auteurs de science-fiction réaliste doivent donc composer avec d’énormes contraintes, en particulier les limites qui s’appliquent à notre connaissance physique de l’univers.
Si tu es assez téméraire pour te lancer dans un récit de hard science, tu disposes donc de deux options :
- La plus facile serait de réfléchir aux conséquences et aux implications des technologies futures qui n’existent pas encore du fait de contraintes techniques ou éthiques, comme l’intelligence artificielle ou le transhumanisme. Ce sont des technologies plausibles, ce qui veut dire qu’elles n’enfreignent pas les limites connues de la science.
- Mais si tu es un vrai crack, tu pourrais aussi t’attaquer à des technologies impossibles qui enfreignent les lois de la physique. Comme le voyage supraluminique ou le voyage dans le temps.
Je préfère te prévenir : si jamais tu mets la main dans cet engrenage, mieux vaut savoir de quoi tu parles.
Car il ne te suffira pas de recopier des extraits de l’article Wikipédia qui présente les différents cas de paradoxes temporels pour te présenter comme un auteur de hard science.
Il faut que tu sois capable de comprendre de quoi il retourne en détail.
Tu dois connaître avec précision toutes les règles physiques et logiques qui contraignent le voyage dans le temps, dans le but d’imaginer un moyen de les contourner qui rendra ce qui n’est pas possible possible.
Pire, il faut que tu sois capable d’inventer une nouvelle théorie inédite et plausible de voyage dans le temps qui n’ait pas encore été imaginée par un physicien.
Une théorie, est-il utile de le préciser, que même un physicien trouvera plausible.
1 Merci à Thibault pour l’idée 🙂
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C’est amusant que tu aies réussi à écrire tout ça sans mentionner une seule fois le pacte de lecture (dans ces termes exacts, je veux dire). J’y avais jamais autant réfléchi mais ça se tient! Je me suis souvent fait la réflexion que dans certains romans de SF, la seule différence avec la fantasy c’était l’apparence de technologie, parce que si on creusait un peu, la technologie en question était aussi consistante que la magie. Je me dis aussi que ça me dérange pas, tant que le récit est bon. Mais la SF qui arrive à donner le plus de crédibilité à son histoire est forcément celle qui fait le plus rêver (là je pense très fortement aux Enfants de Mars, de Benford).
Une série de BD hard science traitant du voyage temporel de manière
originale et crédible : Universal War One – un petit bijou, régalez-vous
!